Nous (Téla botanica) publions un extrait de l’éloge prononcé lors de la remise du prix Gandoger 2018 que lui avait décerné la Société botanique de France.
Marcel Saule est né en 1929 dans une famille rurale du Quercy. Il a découvert les plantes avec son père, qui avait été soigné par un herboriste guérisseur à son retour de la guerre de 14-18. Il avait neuf ans quand son père ramena l’ouvrage Quelle est donc cette fleur ? paru chez Nathan en 1938. Déjà il collectionnait les vignettes des cafés Gilbert et dont les oiseaux et poissons furent ses premiers thèmes de dessin. Avec Quelle est donc cette fleur ? il ouvrit considérablement son champ botanique.
Marcel Saule entre à l’École normale d’instituteurs de Montauban où il est interne et ne rentre à Martel (Lot) qu’une fois par trimestre. Ses professeurs de lettres et d’agriculture, et d’histoire naturelle ont poursuivi sa formation à la botanique. Pendant son temps libre, il reproduit les illustrations de livres ornithologiques. Lors de ses promenades dominicales, il dessine les oiseaux rencontrés. Pour son devoir de fin d’études, il illustre la faune et la flore du Quercy. C’est à cette époque qu’il découvre les Pyrénées avec un ami ossalois, qui l’emmène randonner dans ses montagnes béarnaises.
Marcel Saule commence sa carrière d’enseignant en 1950, en Kabylie, puis à Alger. Il se passionne alors pour la pêche et les poissons. En 1958, il s’installe avec sa famille à Salies-de-Béarn, où il devient professeur de sciences naturelles au collège.
Aux Pyrénées, la rencontre avec Jean Vivant (1923-2010), professeur de sciences naturelles au lycée d’Orthez est déterminante. Jean Vivant va guider Marcel Saule à la découverte de la flore des Pyrénées occidentales. Un autre professeur de sciences naturelles de collège à Pau, Jean Fourcade (1928-1973), est également le compagnon de nombreuses excursions botaniques.
A partir des années 1960, la famille Saule s’implique dans une œuvre laïque dont l’objectif était d’ouvrir la pratique de la montagne aux classes populaires lors de stages familiaux. Marcel Saule est le botaniste du groupe. Il dessine, photographie les plantes et projette ses diaporamas à l’occasion de soirées à Pau ou Oloron. C’est sans doute dans cette ambiance qu’est née la première idée d’un ouvrage, car il ressent le besoin d’un outil pour identifier la flore des Pyrénées.
En 1970, une autre amitié s’installe avec Pedro Montserrat (1918-2017, créateur de l’Herbier de l’Instituto Pirenaico de Ecología [CSIC] à Jaca, il y a plus de 50 ans), après une rencontre fortuite dans le massif d’Anie, avec Luis Villar, Jean Fourcade (1928-1973) et Claude Dendaletche (pour lequel il contribuera à l’illustration du Guide du naturaliste dans les Pyrénées occidentales, 1973). A partir de ce moment, pour les responsables de l’Herbier JACA, ce fut un plaisir de recevoir la visite de Marcel Saule deux fois par an, particulièrement entre 1985 et 2015, l’accompagner sur le terrain ou lui confier les planches d’herbier nécessaires pour les dessiner. De ce fait, les travaux botaniques sur l’Aragon ont toujours bénéficié des dessins de Marcel Saule, comme par exemple Plantas Medicinales del Pirineo Aragonés (Villar et al., 1987) ou l’Atlas de la Flora del Pirineo Aragonés (Villar & al., 1997, 2001).
Enfin, dans les années 1980, la rencontre avec André Baudière (1932-2010), professeur à l’Université de Toulouse, plonge Marcel Saule dans l’étude de la flore des Pyrénées catalanes, les plus méditerranéennes, à l’occasion de semaines estivales où il campe avec sa famille à proximité de la Cabanasse, le havre d’été d’André Baudière, pour lequel il illustre les comptes rendus d’excursions de sociétés botaniques.
Marcel Saule dessine au crayon chaque plante, reproduisant tous les détails. La plante est dessinée entière. Des annotations donnent des compléments d’information. L’étude est faite si possible sur un échantillon frais, sur le terrain ou au bureau. Il lui arrive aussi de travailler à partir d’un échantillon d’herbier, pour les plantes qui ne peuvent se conserver fraîches ou pour les plus rares quasiment introuvables. Le dessin final est réalisé à la plume sur papier calque, en s’adaptant au format de l’édition, éventuellement en repliant une tige trop longue. Ainsi la même étude peut donner plusieurs dessins, selon la publication.
La Grande Flore illustrée des Pyrénées, éditée en 1991, était bien connue de part et d’autre de la chaîne frontière, avec ses 330 planches et 1 800 espèces dessinées. Marcel Saule nous a offert, à l’automne 2018, une splendide Nouvelle Flore Illustrée des Pyrénées, avec plus 3 650 plantes dessinées en 520 planches. Au long de trois décades de fervent travail entremêlant sa compétence botanique et son art du dessin, il a accompli un ouvrage fondamental pour la connaissance des plantes de l’ensemble des Pyrénées, étages collinéens et littoraux inclus, un des domaines floristiques les plus riches d’Europe.
Que ce soit la racine filiforme d’une drave annuelle, un rameau fleuri d’un rosier sauvage, la rosette délicate d’une saxifrage, les tiges plus ou moins rampantes d’une daboécie, les fruits dressés d’une cardamine ou l’aspect totalement velouté d’un edelweiss, tous conservent leur beauté en passant par la main de notre artiste, beauté inattendue quand on les compare aux herbes séchées de la collection d’étude ayant servi de modèle.
La Grande Flore illustrée avait été largement diffusé d’un côté et d’autre des Pyrénées et a permis une meilleure connaissance de leur flore. Elle avait été considérée comme fondamentale pour comparer la Flora alpina de Aeschiman & al. (2004) – publiée en trois volumes à Genève -, avec celle des Pyrénées. Et ses dessins sont cités à nombreuses reprises dans les vingt volumes parus à Madrid de la Flora iberica (Castroviejo & al., 1986-2019). L’ouvrage s’inscrit dans une longue tradition de description de la flore pyrénéenne pour laquelle aucun projet d’ensemble n’avait abouti depuis la Flora Pyrenaea (1897-1901) de Pietro Bubani et dans les rares publications où chaque espèce d’un territoire est illustrée en entier.
Ce joyau éditorial est le résultat du grand effort d’un homme passionné pour les plantes de notre cordillère, notre ami Marcel Saule. Plus qu’un fruit d’automne, il s’agit de l’œuvre d’une vie.
Gérard Largier et Luis Villar (texte complet dans le Journal de botanique de la SBF, 2019, 87 : 11)